REVUE MILITAIRE SUISSE
LX1I1- Année J° 7 Juillet 1918
Relations Intérieures et Extérieures.
L'artillerie de campagne belge
pendant la guerre 1914-1918
Première partie
Autor(en): Erde, E. van
Objekttyp: Article
Zeitschrift: Revue Militaire Suisse
Cette étude ne peut avoir un caractère didactique ;
elle n'aura même point de prétentions techniques. Elle n'aura qu'un
souci : être tout entière, d'une sincérité documentaire,
d'une vérité objective.
Nous ne parlerons ici que de choses vues, de choses
vécues au cours de cette campagne. Notre lecteur ne s'étonnera donc
pas, nous l'en prions, d'un certain défaut d'ordonnance. Il ne sera
point surpris si nous délaissons certains sujets ayant rapport à
l'artillerie de campagne : c'est que l'occasion nous aura fait
défaut d'en prendre une connaissance pratique, suffisante.
D'autre part, il va sans dire que nous ne pourrions pas parler
délibérément de certaines questions sur lesquelles un secret plus ou
moins complet est encore de rigueur : certains détails
d'organisation, certains côtés techniques, etc.
Le lecteur de la Revue militaire suisse connaît trop
la valeur de la discipline vraie, pour nous reprocher de nous y
astreindre complètement. Il voudra bien nous accorder son
indulgence.
Nous espérons que ce que nous pouvons écrire ici suffira pour
démontrer les points suivants : d'abord ce qu'était le matériel de
l'artillerie de campagne belge au début de la guerre et comment ce
matériel fut entretenu, amélioré et formidablement augmenté au cours
même de là guerre; ensuite comment était recruté le personnel
(officiers et soldats) avant 1914, et comment il fut remplacé,
comment les vides furent comblés, les formations nouvelles pourvues
au cours de la lutte. Il y avait là deux problèmes d'une gravité
considérable, d'une importance vitale. Nous verrons comment les a
résolus le commandement belge, grâce à une énergie, à une ténacité,
à une opiniâtreté sans pareilles, malgré les circonstances les plus
difficiles, les plus douloureuses qu'un peuple ait jamais
traversées. Et nous pensons bien que si ce récit constitue une
louange justifiée envers ce peuple, il peut constituer aussi un
enseignement digne d'intérêt et d'attention pour d'autres nations.
Semblable article nous eût paru tout à fait incomplet
s'il n'eût comporté quelques lignes relatives à la cavalerie de
l'artillerie de campagne, et surtout quelques lignes relatives à la
vie des artilleurs sur le front belge.
Les lecteurs de la Revue militaire suisse savent déjà
dans quelles conditions d'infériorité la Belgique dut subir la
guerre.
Ils savent que ce pays, profondément antimilitariste,
confiant dans la parole des grandes puissances garantes de sa
neutralité, répugnait à toute augmentation des charges militaires.
Il ne pouvait pas croire qu'il se trouvait une seule de ces
puissances — elles s'appellent elles-mêmes dans ces traités : Hautes
Puissances — capable de renier sa signature. A vrai dire, pareille
déloyauté pouvait paraître invraisemblable, à des esprits droits et
sincères.
Bref, dès que le peuple belge connut la proposition
déshonorante que lui faisait l'Allemagne : « laisser passer, contre
paiement, l'armée destinée à envahir la France », il se leva en
armes : « Plutôt la guerre »
En cinq jours 50 000 volontaires voulurent s'engager.
On ne put les enrôler faute de bureaux pour les inscrire, faute
d'équipements et d'armements. En cinq jours aussi toute la
mobilisation de l'armée sur pied de guerre était achevée. C'était le
sacrifice. Sacrifice librement, volontairement consenti. Sacrifice,
parce que la Belgique connaissait l'écrasante puissance militaire de
l'Allemagne ; parce qu'elle connaissait le potentiel d'Elsenborn, à
ses frontières ; parce que, aussi, elle connaissait sa propre
faiblesse, principalement à cette heure qui la surprenait en pleine
crise de réorganisation militaire. Malgré ces conditions
lamentables, les Belges firent carrément tête à l'ennemi et nos
lecteurs savent de quelle façon ils l'arrêtèrent dans sa marche,
l'empêchèrent de réaliser ses plans, protégèrent la mobilisation
française et, plus tard, jouèrent avec maîtrise le rôle qui leur
était dévolu sur le théâtre général de la lutte. Comment
réalisèrent-ils cette défense qui stupéfia les Allemands au point
que ceux-ci, dans la fureur de leur déception, commirent ces autres
crimes inoubliables : Louvain, Andenne, Aerschot, Termonde, Dinant
Comment, entre autres choses, parvinrent-ils à ne pas
se laisser écraser par cette masse formidable d'artillerie qui
devait, au dire du commandement allemand, broyer tout ce qui
s'opposerait — tout ce qui oserait s'opposer — à elle
De quels moyens disposaient-ils pour lutter contre
cet appareil effrayant que l'empereur Guillaume faisait résonner
périodiquement pour terrifier l'univers En 1918, la Belgique aurait
dû se trouver en possession d'un sérieux outil de défense : c'est à
cette époque qu'aurait complètement développé ses effets la nouvelle
loi militaire votée — avec combien de peine — en fin 1913. Son armée
eût comporté des effectifs en rapport avec la situation réelle du
pays, sa population, sa richesse, sa position géographique et ses
aspirations. Le chiffre d'hommes sous les drapeaux devait s'élever à
350 000. Le matériel, l'armement eût été sans doute proportionné à
cet effort.
Malheureusement telle n'était pas la condition
militaire dé la Belgique en août 1914. Grâce à l'activité, à la
prévoyance du ministre de la Guerre, la formation nouvelle avait été
adoptée dès la fin décembre 1913, et l'armée de paix fut
immédiatement organisée selon la nouvelle conception admise.
C'est ce qui permit la mobilisation si rapide d'une
centaine de mille hommes et l'effort subit de résistance opposé à
l'avalanche allemande.
Rappelons, d'après les documents officiels publiés
par le Gouvernement belge, la composition de l'armée de campagne
au 4 août 1914 :
Ie division d'armée : 14 000 fusils, 500 sabres, 18 mitrailleuses,
48 canons.
2e division d'armée : 14 000 fusils, 500 sabres, 18 mitrailleuses,
48 canons.
3e division d'armée : 18 500 fusils, 500 sabres, 24 mitrailleuses,
60 canons.
4e division d'armée : 18 500 fusils, 500 sabres, 24 mitrailleuses,
60 canons.
5e division d'armée : 14 000 fusils, 500 sabres, 18 mitrailleuses,
48 canons.
6e division d'armée : 14 000 fusils, 500 sabres, lcS mitrailleuses,
60 canons.
Une division de cavalerie : 2500 sabres, 450 cyclistes, 12 canons.
Au total, pour les six divisions d'armée et la division de cavalerie
: 93 000 fusils, 5500 sabres, 120 mitrailleuses et 336 canons.
Rappelons une fois de plus — ne faut-il pas répéter les
démonstrations les plus évidentes — épie la Belgique, jusqu'au 3
août 1914 au soir, avait ses diverses unités respectivement dirigées
vers ses diverses frontières, prêtes à s'opposer à l'envahisseur
quel qu’il fût, d'où qu'il vînt.
La Ie division, concentrée à Gand (division des
Flandres) faisait face à l'Angleterre.
La 4e division à Namur, la 5e à Mons, faisaient face à la France en
cas d'attaques venant ou de Givet, ou de Maubeuge ou Lille.
La 3e division, à Liège, faisait face à l'Allemagne.
La 6e division, en réserve à Bruxelles, avec la
division de cavalerie, pouvait se porter rapidement sur la frontière
menacée, vers laquelle seraient dirigées ensuite les quatre autres.
Ces dispositions de défense, conservées jusqu’a la dernière limite
possible, jusqu'à l'heure où.le doute ne fut plus permis, où la
frontière de l'est fut violée, démontrent au plus incrédule
l'insanité des affirmations des Allemands disant que les Belges
avaient partie liée avec leurs adversaires.
Jusqu'au moment où l'armée teutone eut foulé le sol de la Belgique,
la lre division d'armée avait pour mission de s'opposer à la
pénétration de tout soldat anglais sur le territoire neutre ; la 4e
et la 5e à l'entrée de tout soldat français, aussi bien que la 3e de
s'opposer à l'envahissement germain. Aucun doute n'est possible,
aucun doute n'exista jamais dans l'esprit des soldats belges.
Aucun doute, ajouterons-nous, ne put exister non plus à ce sujet
dans l'esprit des Allemands. Tout ce qu'ils ont tenté d'avancer à ce
sujet est aussi faux qu'était fausse l'affirmation donnée par
l'ambassadeur de Guillaume II à Bruxelles — au moment où déjà des
soldats prussiens étaient en Belgique — que le territoire belge
serait respecté par l'Allemagne
Nous avons vu quels étaient les effectifs de- l'armée
de campagne belge, sa force en mitrailleuses et en artillerie.
Voyons maintenant de quel matériel était formée cette
dernière.
Matériel.
Le seul type de canon de campagne que possédait l'armée belge au
début des hostilités était le canon 7.5 belge T. R.
En principe, c'est le canon de campagne Krupp, mais
fabriqué en Belgique et modifié selon divers brevets et inventions
belges. Voici quelques-unes de ses caractéristiques.
L'appareil de fermeture de culasse est un système à
coin horizontal. Le coin se déplace latéralement, vers la droite de
la pièce (en batterie), suivant le mouvement d'un arbre de
translation horizontal cfui fait corps avec lui. Cet arbre est
constitué par une vis à pas très allongé. La vis engrène sur un
écrou ménagé dans la paroi supérieure du logement de culasse. Au
dévirage, elle entraîne tout le coin hors de son logement. La
poignée qui commande ce mouvement est rabattue contre la paroi
externe de la culasse. Ceci occasionne un léger retard du tir et ne
permet pas de donner toute la vitesse que comporterait la pièce. En
effet, ce n'est guère que lorsque le tube, après recul, est revenu
jusqu'à sa position normale, que le servant peut atteindre la
poignée et provoquer l'éjection de la douille.
L'appareil de fermeture renferme aussi le mécanisme
de mise à feu avec le percuteur, son ressort et sa plaque d'appui;
en plus, les sécurités habituelles, sauf cependant la sécurité
contre longs feux. Les pièces belges, en général, ne comportent pas
ces dernières. Et l'usage paraît avoir justifié cette exclusion :
aucun accident imputable à ce fait n'a jamais été signalé.
L'appareil de pointage est du type normal des modèles
récents. Hausse courbe corrigeant automatiquement la dérivation et
permettant de remédier à l'inclinaison des tourillons, en cas
d'obliquité de l'essieu. Lunette de pointage de Korrodi. En outre,
une échelle des écarts permet d'effectuer, pour chaque bouche à feu,
les corrections en direction nécessitées par son régime particulier.
La hausse est graduée jusqu'à 5600 mètres, distance
maxi Au front belge. — Un aspect des travaux de défense.mais
primitivement attribuée au tir du 7.5 belge T. R. Néanmoins ce tir a
pu être régulièrement et systématiquement dirigé jusqu'à des portées
beaucoup supérieures, grâce à un artifice dont il sera parlé plus
loin. La ligne de mire n'est pas indépendante. En conséquence, le
même servant se voit obligé de donner la direction, la hausse et le
niveau. Il y a là — et ceci se conçoit facilement — une nouvelle
cause de diminution — légère — dans la vitesse du tir.
Le récupérateur du 7.5 belge est à ressorts. Les ressorts entourent
le cylindre-frein. Ils prennent appui sur le rebord antérieur de ce
cylindre. Celui-ci, en reculant avec le tube les comprime. Leur
détente provoque, la rentrée en batterie.
Frein. Son piston est fixé par sa tige à l'avant du
berceau, lequel ne participe point au recul. Le cylindre, nous
l'avons dit, recule avec le canon auquel il est fixé. Au cours de la
poussée, l'émulsion glycérinée qui au repos se trouvait en avant du
piston est refoulée en arrière. Ce refoulement du liquide s'effectue
au travers de petits canaux ménagés dans l'épaisseur du corps de
piston. Grâce à un artifice ingénieux, la section de ces canaux peut
varier automatiquement pendant ce déplacement et règle toujours le
passage de l'émulsion glycérinée de façon à éviter tous chocs
nuisibles et conserver la stabilité de la pièce. Pour aboutir à ce
résultat, voici le dispositif utilisé. Le corps du piston se
décompose en deux parties. La moitié arrière forme manchon autour de
sa tige. Elle porte à sa face superficielle des saillies qui
s'engagent en des rainures hélicoïdales creusées dans la surface
interne du cylindre-frein. Au refoulement, cette moitié arrière du
piston prend un mouvement de rotation réglé par la disposition même
des rainures.
En conséquence, les orifices correspondants des deux
parties du corps de piston ouvrent une communication variable
assurant exactement l'écoulement de liquide nécessaire pour
régulariser le recul.
Berceau. Le berceau, qui porte le tube, loge le frein
et le récupérateur. Il présente à sa face inférieure un tourillon
vertical qui s'emboîte dans un logement creusé dans le porte-berceau.
Dans la manœuvre de pointage en direction, déjà dégrossie par le
déplacement de la crosse, le parachèvement se fait par pivotement du
berceau autour de cet axe. Evidemment, ce mouvement amène l'axe du
tube, pendant les tirs, hors du plan de symétrie de l'affût ; mais
l'on considère comme suffisant le dégrossissement si le
parachèvement ne déplace pas le canon sur l'affût de plus de 5 mm.
Le pivotement du berceau se commande par une manivelle de pointage
en direction placée à gauche de l'extrémité postérieure du berceau.
Porte-berceau. Il repose sur l'affût par deux
tourillons horizontaux autour desquels il est mobile dans le plan
vertical. Il imprime au berceau et, par conséquent, au tube,
l'inclinaison voulue, commandée par le mouvement ascendant ou
descendant de la vis de pointage en hauteur.
Au total, pièce légère — en bataille, soit canon et avant-train
réunis, elle pèse 1850 kilos, y compris 350 kilos de munitions
enfermées dans l'avant-train, — mais très solide et très robuste. Sa
résistance au travail a largement dépassé les espérances les plus
optimistes.
Munitions. Le canon de 7,5 T. R. belge était, au
début de la campagne, pourvu de deux espèces de projectiles : a) un
shrapnell à fusée à disques, à double effet : b) un obus brisant à
faible capacité .
Réglementairement, chaque caisson contenait 61 obus.
L'avant-train en contenait 40.
Pièce et caisson étaient attelés respectivement de six chevaux, qui
pouvaient les manœuvrer à toutes allures dans les terrains les plus
variés.
En résumé, ce matériel était, dans son ensemble,
simple, robuste, bien en mains, facile à mettre et à maintenir en
action. Entretenu avec un soin jaloux par ses servants et ses
ajusteurs, il put rendre constamment — et au delà — les services
qu'en attendait le commandement. Sa résistance et sa durée
dépassèrent largement les prévisions les plus optimistes.
Néanmoins, il était notoirement insuffisant pour
soutenir à lui seul la lutte contre la puissante artillerie de
campagne que traînait avec elle l'armée envahissante. Aussi fut-il
nécessaire de parer aux exigences chaque jour plus impérieuses de
cette guerre où Krupp jouait un rôle si prépondérant. Il fallut
adjoindre, au matériel primitif et réduit, successivement un
matériel nouveau, de plus en plus abondant, de plus en plus
puissant, de plus en plus lourd.
Tout cela a subi au cours de la guerre des transformations
successives complètes : projectiles nouveaux, explosifs différents,
etc., qui ont considérablement amélioré la valeur de cet armement.
Aujourd'hui l'armée belge est pourvue d'une
artillerie de campagne sérieuse, nombreuse, où les calibres
puissants et les longues portées sont largement représentés. Que de
fois nous avons entendu soldats et officiers s'écrier : « Ah si nous
avions eu tous ces canons en août 14 Ils n'auraient jamais traversé
la Meuse »
N'oublions pas, toutefois, que la situation de
l'artillerie belge fut tout à fait spéciale. Que le commandement
belge a subi, plus que tout autre, la contrainte des circonstances
les plus impérieuses. A ces soldats, il fallait des canons, des
munitions », selon le mot fatidique. Tout ce matériel nouveau, il a
fallu le créer en pleine guerre, face à l'ennemi, dans des
conditions absolument uniques, en pays étranger, loin de tout
réservoir de personnel, loin de toutes réserves de matériaux. Il a
donc été nécessaire de se plier à l'urgence ele chaque jour ; faire
du neuf en même temps qu'on réparait du vieux et qu'on adaptait du
butin.
Lutte constructive quotidienne, parallèle à la lutte
destructrice de l'armée contre l'envahisseur.
Ce fut un merveilleux effort que celui qui fit, en
pareilles circonstances, de la pauvre armée belge de 1914, la solide
armée belge d'aujourd'hui : il ne put être réalisé que grâce aux
fermes vertus du peuple, à l'énergie incessante du commandement.
Comment s'accomplit ce prodige. Le monde croyait
cette armée écrasée ; les Allemands proclamaient qu'elle était hors
de cause. Et la voilà plus forte, bien mieux armée qu'au
commencement de la guerre Il serait trop long de décrire ici toutes
les phases de ce phénomène. Un livre en a raconté ce qui se rapporte
à l'artillerie et à certains autres objets ; c'est le livre du
commandant Willy Breton, que les lecteurs de la Revue militaire
suisse ont eu l'occasion d'apprécier déjà à diverses reprises. Ces
Etablissemenls d'artillerie sont un travail documentaire des plus
intéressants, des plus instructifs ; des pages de « petite histoire
» des plus utiles à ceux que préoccupent les questions d'art et de
science militaires et, particulièrement, le domaine - -aujourd'hui
capital — de l'industrie de guerre.
Le Belge aime beaucoup à se suffire ; il aime faire
un travail dans sa totalité. Naturellement, il aime faire ses
canons, fabriquer ses munitions. On bâtit des ateliers, des
fabriques, des usines ; le travail s'y activait, les résultats
devenaient magnifiques... Survint la catastrophe de Graville, en
décembre 15 « y faisant littéralement table rase, n'y laissant ni un
homme vivant, ni un mur deboutl» C'était à décourager les plus
braves, les plus obstinés. Les Belges s'acharnèrent. Un an après le
désastre, les nouvelles usines occupaient un espace double des
premières : neuf hectares de bâtiments couverts
Qu'y fait-on ? Pour l'artillerie de campagne, tout ce
qui lui est nécessaire. Des munitions d'abord. Projectiles de tous
calibres, de tous genres, en quantités énormes : sur le front belge,
la lutte d'artillerie ne cesse ni jour ni nuit. Et les usines ne se
contentent pas de fabriquer des projectiles usités, on y crée des
modèles, on y invente des types.
Plus loin, ce sont d'autres usines qui fabriquent,
qui manipulent les explosifs, combinent les poudres, chargent les
engins. Là non plus on ne se borne pas à suivre la coutume : on fait
des essais, on crée. Des choses intéressantes ont été trouvées déjà.
Pour cette branche de l'industrie de guerre, les
Belges ont jusqu'en Angleterre fondé des installations nouvelles
d'une étendue étonnante. Et les voici devenus... fournisseurs des
armées britanniques Et Elisabethville, une cité exclusivement belge
en tout, — pour ne parler que de cela, — livre aux Anglais chaque
semaine un nombre énorme d'obus de gros calibre : nombre qui se
chiffre par dizaines de mille. En Angleterre encore s'élèvent de
vastes usines où les Belges fabriquent les explosifs. (Signalons, en
passant, quoique cela sorte de notre sujet, qu'à Birmingham ils ont
créé une importante fabrique)
Au front belge. — Un aspect du paysage. Des batteries
sont dissimulées dans le voisinage, si habilement qu'il est
impossible de discerner leur emplacement. d'armes de guerre :
fusils, fusils-mitrailleuses, mitrailleuses, accessoires, etc., qui
non seulement peut suffire aux besoins de leur armée, mais même
fournir aux armées alliées.
Revenant à l'artillerie, nous verrons des ateliers
belges livrer tous les instruments de précision utilisés aux pièces
: instruments de pointage, de réglage, instruments d'optique, de
physique, de géodésie, lunettes, altimètres, cercles, alidades,
goniomètres, périscopes, boussoles, etc., etc.
Mais l'arme elle-même, le canon lui-même, ils le
fabriquent entièrement. Et n'est-ce pas un beau spectacle que voir
des ouvrières et des soldats belges, dans des usines belges, sous la
conduite d'officiers et d'ingénieurs belges, forger les pièces
d'artillerie qui aideront leur courageuse armée à délivrer leur
patrie N'est-ce pas là de la belle et curieuse histoire militaire.
Personnel.
Mais il est temps de parler un peu du personnel,
officiers, sous-officiers, soldats, qui anime ce matériel si
laborieusement acquis.
Recrutement et formation du personnel.
Officiers. — En temps de paix, presque tous les
officiers de l'artillerie, en Belgique, sortaient de l'école
militaire. Pour être admis à suivre les cours de cette école, ils
avaient à subir un examen portant à la fois sur la culture générale,
sur les programmes littéraire et scientifique ; épreuves orale et
écrite sévères, par lesquelles se faisait déjà une sérieuse
sélection. Cet examen différait selon que le candidat se présentait
aux armes simples (infanterie et cavalerie) ou aux armes spéciales
(génie et artillerie).
Le futur artilleur, pendant deux ans, travaillait les
matières inscrites au programme, assez chargé, sans toutefois
négliger une instruction et une éducation militaires étroitement
surveillées et activement conduites. Des examens fréquents, des
inspections, des revues, tenaient sans cesse en haleine le corps
professoral et les élèves, exigeaient de tous une discipline,
militaire stricte, maintenaient constamment un niveau intellectuel
et moral particulièrement élevé. L'on sait d'ailleurs que malgré la
grande sévérité bien connue qui régnait à l'Ecole militaire, le
renom de celle-ci lui attirait chaque année un grand nombre
d'étudiants de tous les pays du monde ; l'on y voyait fréquemment le
Russe à côté du Japonais, le Chinois avec le Roumain, etc.
Sorti de l'Ecole militaire avec une cote suffisante,
notre futur officier d'artillerie passait à l'Ecole d'application
où, pendant deux ans et demi environ, il se spécialisait
définitivement.Là se parachevait son éducation militaire et son
développement scientifique. (Au sortir de cette école, les jeunes
gens que rebutait la carrière des armes, pouvaient devenir
titulaires d'emplois d'ingénieurs industriels au même titre que les
ingénieurs diplômés des universités.) Le travail était ardu, de plus
en plus étroitement contrôlé et activé. Citerons-nous ici des noms
qui ont illustré l'Ecole d'application militaire de Bruxelles
Mentionnons au hasard de la plume le général de Tilly, dont les
études de géométrie sont si hautement estimées partout ; le général
Brialmont, qui fut le maître incontesté de la fortification moderne
; le général Léman, dont la gloire, acquise au siège inoubliable de
Liège, ne doit cependant pas éclipser complètement le renom de
mathématicien. (L'on sait que Léman dirigeait l'Ecole militaire peu
de temps encore avant la guerre. Il ne la quitta que pour aller
prendre le commandement de la région fortifiée de Liège et la
direction de sa mise en état de défense.)
Un certain nombre d'officiers d'artillerie, quelque
temps après leur sortie de l'Ecole d'application, allaient achever
leur éducation de cavaliers à Ypres. Là se trouvait la fameuse'
école d'équitation dont le nom est cité partout avec ceux de Saumur
et de Turin. (Peu de mois avant la guerre, c'est à Brasschaet que
s'était transportée l'Ecole d'équitation pour les artilleurs.)
Enfin, pour achever le cycle des études, ajoutons que
certains officiers d'artillerie passaient par la suite à l'Ecole de
guerre, qui leur ouvrait les cadres de l'état-major. Mais, en quoi
l'artillerie différait singulièrement des autres armes, ce n'étaient
pas toujours les élèves sortis les premiers de leur promotion cjui
passaient à l'Ecole de guerre ; trop amoureux de leur spécialité, de
la vie active journalière, ils déclinaient souvent cet honneur.
Mais il fallait entretenir, renouveler les
connaissances spéciales de l'officier. Chaque année, il allait
faire, au Polygone de Brasschaet, une période d'exercices de tir,
d'école à feu, de travail actif et divers, au cours de laquelle il
lui était donné d'exécuter des tirs réels en conditions variées.
Enfin, tous les trois ans, parfois plus souvent,
l'artillerie participait largement aux grandes manœuvres d'armes
combinées qu'exécutait toute l'armée belge.
Si nous suivons notre officier d'artillerie à sa
sortie de l'Ecole d'application, nous le voyons arriver dans telle
unité où, jeune sous-lieutenant, il sera chef d'une, section (soit
une demi-batterie). Il y jouit de très peu d'initiative, en somme,
exécutant et veillant à l'exécution du service commandé par le
capitaine commandant la batterie. Il acquiert pendant la bonne
douzaine d'années qu'il passe là une somme sérieuse de connaissances
pratiques développées par une activité de tous les jours. Après
avoir porté quelques années un deuxième galon de lieutenant, il
commandera enfin une batterie pendant un temps variable, mais
atteignant quelquefois dix ans. Lorsqu'il aura entre 20 et 25 ans de
grade, il sera appelé à subir l'examen qui lui permettra de passer
clans le cadre des officiers supérieurs. Examen où se fait une
sélection minutieuse, car il porte à la fois sur les qualités
intellectuelles et morales, et sur les capacités physiques du
récipiendaire, sa tenue à cheval, son aptitude à divers
commandements, etc., etc. Devenu major, voici notre, officier
commandant, en règle générale, un groupe de trois batteries. Plus
tard, portant les galons de colonel, il aura un commandement
équivalent à celui de trois groupes, sera chef d'un régiment.
Général, il sera placé à la tête d'une brigade d'artillerie, à moins
qu'il ne soit pourvu d'un service spécial. Devient-il lieutenant
général, il pourra conserver la charge d'inspecteur général de
l'artillerie ou, sortant de sa spécialisation, prendre le
commandement d'une division d'armée, à moins que l'appellent
d'autres destinées.
La guerre, naturellement, révolutionne tout cela. Dès
le début des hostilités, il se constata une sérieuse pénurie
d'officiers, à quoi force fut de remédier sans retard. Des officiers
de réserve comblaient une partie des vides. Mais leur nombre ne
suffisant pas, l'on y employa d'anciens officiers qui, ayant quitté
l'armée, s'offraient à reprendre du service pour la durée de la
guerre, et même quelques sous-officiers d'élite nommés pour la
circonstance. Mais des vides encore se produisirent au cours des
événements, de plus des batteries nouvelles furent formées ; il
s'agissait de parer aux nécessités chaque jour plus impérieuses de
la campagne.
Un organisme spécial fut créé.
Le C. I. S. L. A. A. (Centre d'instruction de
sous-lieutenants auxiliaires d'artillerie) fut placé sous la
direction d'un chef averti et de quelques officiers choisis ; il eut
pour mission de former le plus rapidement possible de nouveaux
officiers d'artillerie. Pour recruter les candidats l'on y appela
les élèves de l'Ecole militaire qui se destinaient aux armes
spéciales ; puis des officiers de cavalerie, volontaires, désireux
d'une activité plus grande que celle qui semblait alors réservée à
leur arme ; puis furent appelés d'anciens sous-officiers de choix,
des ingénieurs, des candidats en sciences physiques et
mathématiques.
Plus tard, on dut admettre des jeunes gens moins
particulièrement désignés à ce choix, mais ayant acquis un certain
degré d'instruction supérieure. Toutefois, ceux-ci furent préparés à
ce rôle par leur passage dans un établissement de création récente :
centre d'instruction préparatoire à la sous-lieutenance auxiliaire
d'artillerie (C. I. P. S. L. A. A.). Le programme du C. I. S. L. A.
A. dut forcément revêtir un caractère essentiellement pratique. Il
s'agissait, au début surtout, d'aller vite et la durée des premières
sessions ne dépassait guère deux mois. Aujourd'hui, le temps presse
un peu moins et le séjour à l'école est généralement de quatre mois.
Inutile de dire que les élèves étaient et sont encore soumis à un
travail intensif. Que de choses à leur apprendre en si peu de temps
pour les mettre à même de commander bientôt une section, voire une
batterie Citons, pêle-mêle, les notions de balistique, de
topographie, et lecture des cartes, des documents photographiques ;
la théorie des tirs sur le terrain, l'exécution pratique de ces tirs
; l'hippologie et l'équitation; la manœuvre de la pièce, l'évolution
de la batterie en terrains variés, sa mise en position, choix du
terrain, etc., enfin l'exercice du commandement. Et toutes ces
matières font l'objet d'examens fréquents et d'une épreuve finale
corsée avant que le candidat reçoive son exeat.
A-t-il satisfait Il est renvoyé au front avec le
titre d'adjudant candidat-officier ; il est adjoint pendant quelques
mois à un chef de section et se perfectionne encore dans la pratique
du métier, pour être, ensuite, nommé sous-lieutenant auxiliaire et
commander une section ou un échelon. S'il veut alors demander son
admission dans les cadres de la réserve, il prend réellement grade
dans la hiérarchie militaire et peut s'élever aux divers degrés de
cette hiérarchie selon les règles habituellement observées.
Voici donc en fonctionnement l'usine où se font de
nouveaux lieutenants d'artillerie. Mais vous connaissez l'esprit
consciencieux du Belge, qui aime à achever, à perfectionner son
ouvrage Il ne fut satisfait que lorsque furent créés, à côté du C.
I. S. L. A. A., deux centres nouveaux, deux écoles de
perfectionnement, l'une pour les chefs de sections, l'autre pour les
commandants de batterie. Là ils sont mis à même d'étudier
théoriquement et pratiquement les techniques nouvelles, les
matériels fraîchement achevés, les méthodes nées de la veille, les
innovations de manœuvres, et même les procédés encore en expérience.
Ils peuvent y suivre des conférences sur les événements les plus
récents, sur tout ce qui intéresse la balistique, la clastique, sur
les problèmes surgis au cours des dernières opérations, sur les
adaptations, les engins, les instruments mis en œuvre pendant la
guerre tant par les Belges que par leurs alliés. De là, peut-être,
sont sortis les projets, les ébauches d'appareils, de projectiles,
les conceptions intéressantes et singulièrement efficaces qui ont à
diverses reprises signalé l'activité inventive des artilleurs belges
depuis la guerre. Entre autres choses, un règlement nouveau
d'artillerie, très complet, très développé et très moderne a été
publié, qui fait le plus grand honneur à ses auteurs.
Enfin, l'énorme développement qu'ont pris, au fur et
à mesure que se succédaient les événements, l'observation et le
règlement des tirs de canons par les avions, a nécessité la
connaissance, tout au moins pour certains officiers, de méthodes de
signalisation nouvelles, pratique de la télégraphie sans fil,
correspondance rapide par signaux à grande distance, etc. Ils purent
s'y familiariser à l'école « d'officiers d'antenne ».
Nous avons ainsi passé rapidement en revue les divers
établissements fondés au cours même de la guerre par le commandement
belge, non seulement pour créer les officiers nouveaux nécessaires
aux cadres de l'artillerie de campagne, mais encore pour entretenir
la science théorique et les connaissances pratiques de ces
officiers, leur donner la possibilité de conserver leur niveau
scientifique élevé, et de connaître les dernières nouveautés
relatives à leur domaine d'activité.
Sous-officiers et soldats. D'après le règlement de
1914, le recrutement se faisait partiellement par volontariat, en
grande partie par prélèvement sur les contingents annuels de milice.
Les hommes destinés à l'artillerie étant choisis soit en raison de
leurs aptitudes physiques, soit en raison de leurs aptitudes
professionnelles. La durée de leur temps de service sous les
drapeaux était d'environ 26 mois.
Les six premiers mois étaient consacrés à la
formation individuelle du canonnier. Discipline militaire, école du
servant, école du cavalier, école de la pièce, école de la voiture,
etc. Au bout de cette première période, l'instruction individuelle
paraissant achevée, commençaient les exercices d'évolution de
batterie, puis de groupes, les exercices en terrains variés, les
manœuvres d'ensemble et les écoles à feu. Pendant cette seconde
période se développait et s'entretenait l'éducation militaire du
canonnier qui devait devenir apte à se plier à toutes les
éventualités, à toutes les exigences de son service en temps de
guerre. « La préparation à la guerre est le but où doit tendre tout
l'enseignement du temps de paix », proclamait le « Règlement général
pour l'artillerie de campagne ».
En principe, les prescriptions réglementaires
admettent une instruction différente pour les canonniers-servants et
pour les conducteurs. Toutefois, il est entendu que ces derniers
doivent être mis à même de remplacer éventuellement les premiers,
tout au moins dans leurs fonctions les plus simples, celles de
pourvoyeurs à la pièce et de chargeurs. « Les officiers ont la
responsabilité de l'aptitude au service des soldats qui leur sont
confiés ainsi que de leur développement intellectuel et moral. »
Dès leur entrée au corps, les miliciens les plus
intelligents et les plus instruits sont présentés à un examen.
L'ont-ils réussi, il leur est loisible de suivre les cours de
l'école de brigadiers. Là, tout en accomplissant le service normal
quotidien, ils étudient pendant six mois d'une façon plus
approfondie les éléments du service intérieur, le matériel, etc.,
etc. Par la suite, les plus aptes seront admis à l'école de
sous-officiers dont les cours ont une durée de six mois environ et
d'où ils sortiront maréchaux des logis. De ceux-ci, ceux qui
désirent faire carrière à l'armée peuvent devenir successivement
premiers maréchaux des logis ou fourriers, chefs, premiers chefs,
adjudants sous-officiers, adjudants chefs de section. Enfin, dans le
nombre des sous-officiers se recrutent, à l'occasion, des sujets
d'élite que leur conduite, leurs qualités intellectuelles, leur
instruction, leur éducation, désignent au choix de leurs chefs et
qui pourront se présenter aux examens, extrêmement ardus, leur
ouvrant le cadre des officiers. Faut-il dire que, pendant la guerre,
toute cette minutieuse organisation fut complètement renversée par
la force des choses Nos lecteurs savent l'énorme difficulté
qu'éprouvait l'armée belge de recruter du personnel nouveau, tous
ses réservoirs naturels d'hommes se trouvant en pays envahi. Force
était bien, cependant, de remplacer les artilleurs mis hors de
combat depuis août 1914 et de fournir aussi les éléments nécessaires
à toutes ces batteries de nouvelle formation que nous avons vu se
développer et se multiplier si rapidement. Pour y arriver, le
commandement puisa surtout à trois sources différentes.
D'abord, il incorpora à l'armée de campagne les
artilleurs de forteresse rendus disponibles par la chute des forts ;
ce fut là un excellent contingent. Il y versa ensuite les hommes
d'un certain âge, ou mariés et pères de famille, appelés sous les
drapeaux par les lois nouvelles sur le recrutement édictées au cours
de la guerre. Il y utilisa enfin des fantassins récupérés, inaptes
au service d'infanterie par suite de blessures ou de maladies, etc.
Les soldats de la première de ces trois catégories purent être
envoyés, sans préparation particulière, dans les batteries de
campagne. Les autres durent naturellement subir une période
d'apprentissage avant d'être versés dans les unités. La durée de cet
apprentissage fut variable en raison des exigences plus ou moins
impérieuses du front.
Il se fit dans un Centre d'instruction d'artillerie
(C. I. A.) créé dans ce but dès les premiers mois de 1915. Les
éducateurs sont des officiers venus des tranchées à tour de rôle. Au
C. I. A. le travail est poussé activement, fébrilement. Il est
dirigé judicieusement de façon à inculquer avant tout aux élèves les
connaissances pratiques nécessaires au métier qui les attend. Le
programme y est uniforme. Toutes les recrues doivent pouvoir, en
sortant du Centre d'instruction, parer à tous les besoins inhérents
au fonctionnement d'une pièce, d'une batterie en campagne. Il faut
pouvoir servir au caisson comme au canon, pointer ou pourvoir ou
tirer ; il faut aussi éventuellement manœuvrer chevaux et attelages.
Aussi, du matin au soir, parfois du soir au matin, les élèves sont à
la pièce, à cheval, au terrain, au tir. C'est qu'il faut aller vite
; à certains moments, il fallut aller extrêmement vite et suivre les
demandes pressées du front. Certaines sessions ne durèrent pas deux
mois Cela paraît bien peu, en regard du temps considéré autrefois
comme indispensable pour cette instruction. Et cependant les
résultats donnent pleine satisfaction. Les officiers ne se plaignent
pas de leurs nouveaux artilleurs et nombre de ceux-ci conquièrent
rapidement au front leurs premiers galons. D'ailleurs, nous pourrons
tantôt nous rendre compte un peu de la valeur de l'artillerie belge
en général — et les jeunes commencent à y prendre une place de plus
en plus grande ; d'autre part, les Français, qui l'ont empruntée à
la bataille de la Somme, les Anglais, qui en utilisent souvent des
unités, sont unanimes à en faire le plus sérieux éloge. Et ceci
soulève un problème d'importance générale qu'il sera intéressant
d'étudier un jour au moyen de données internationales. Est-il
vraiment possible de faire un soldat, un artilleur en si peu de
temps Cette possibilité peut-elle être considérée comme permanente
Ou bien soutiendra-t-on que cela pouvait être obtenu sous la poussée
violente des événements tragiques, sous l'impulsion d'un patriotisme
exacerbé par la situation actuelle, mais que l'on ne pourrait plus
attendre, plus tard, pareil effort des professeurs et des élèves;
des officiers, des instructeurs et des recrues Si la première thèse
est admissible, quelle réduction partout du temps de service Sans
envisager la question en détail, ne peut-on songer à un séjour très
abrégé des miliciens sous les drapeaux avec, comme corollaire, des
rappels d'une quinzaine de jours chaque année, avec quelques jours
de manœuvres L'homme entretenu plus longtemps, jusqu'à 32 ou 35 ans
; une armée de réserve bien en mains... Mais tout cela s'écarte trop
de notre sujet. Sans doute aurons nous à y revenir. En tous cas,
l'étude approfondie du fonctionnement des résultats des C. I. dans
les différentes armées, pendant cette guerre, fournira à ce sujet
une contribution sérieuse ; et son retentissement sur l'avenir sera
sans doute considérable.
Chevaux.
Quelque intérêt que puisse présenter pour tous les
artilleurs ce chapitre de notre étude, force nous sera d'être bref :
nous dépassons déjà les limites permises. Au début de la guerre,
l'artillerie belge de campagne possédait une cavalerie très
suffisamment nombreuse, et très belle, en parfait état. Le rendement
en fut excellent. Les artilleurs furent très satisfaits de leurs
aides fidèles. L'artillerie de campagne utilisait surtout deux races
: l'irlandaise et l'ardennaise. La première pour la selle (et pour
le trait dans l'artillerie à cheval). Pour le trait, à l'artillerie
montée — énorme majorité — elle préférait l'ardennais, cheval du
pays, plus petit, plus trapu, mais plus robuste, au pied aussi sûr
que celui des bêtes de montagne. Le brio, l'assurance de ces
attelages conduits par des hommes rompus au métier, étaient chose
admirable et qui souvent, dans les réunions internationales,
épreuves hippiques, etc., enleva les exclamations admiratives des
connaisseurs.
Au moment de la retraite d'Anvers, on se trouva
quelque peu dépourvu. L'artillerie avait fourni depuis le 5 août un
travail extraordinairement intensif et éreintant. Des chevaux
avaient été blessés, tués. De plus, nous avons vu que de nouvelles
batteries avaient été créées. Il s'agissait de parer à ces besoins.
On réquisitionna, entre autres, ces magnifiques bêtes de trait
connues dans toute l'Europe, un des orgueils d'Anvers : les chevaux
des Nations. On craignait bien un peu que tous ces animaux non
entraînés au métier, à la vie irrégulière, à l'alimentation parfois
capricieuse de la guerre, au bruit des caissons, aux détonations des
canons, ne fussent d'une aide assez mince. Il n'en fut rien et la
plupart des chevaux belges de réquisition rendirent vaillamment tous
les services exigés d'eux; ils firent preuve d'une résistance
insoupçonnée à la vie de campagne.
Mais il faut ajouter qu'ils étaient admirablement
entretenus et soignés. L'artilleur belge aime ses chevaux. Il a pour
eux une sollicitude presque fraternelle, oserons-nous dire. Il les
entretient sans cesse en un parfait état de propreté, — on sait que
le Belge aime que tout autour de lui soit propre, net, reluisant ;
il en a une véritable coquetterie, le brossant, l'étrillant à la
moindre étape ; le plus souvent s'occupant de son bien-être avant de
penser à soi-même. Il en est fier, parle de lui comme d'un camarade,
vante ses qualités, et il est bien rare qu'un homme ne se targue pas
d'avoir le meilleur cheval de la batterie C'est à cette sollicitude
que les artilleurs belges doivent d'avoir perdu par maladie ou
accidents (autres que blessures au feu), un nombre infime de
chevaux. L'on peut s'étonner, par exemple, qu'ils n'en aient guère
perdu pendant cette longue et pénible retraite de Namur, au cours de
laquelle nombre de batteries ne purent dételer une seule fois, ni se
reposer, pendant cette énorme étape à marches forcées de la Meuse à
Rouen, suivie du retour au front.
La résistance des chevaux fut surprenante,
d'ailleurs. Pendant la guerre de mouvements, vu le petit nombre de
batteries, les mêmes devaient agir partout. Les fatigues de jour et
de nuit dépassèrent toutes les limites supposées possibles. Plus
tard, ils durent vivre clans le sol épais et fangeux de l'Yser, dans
l'humidité dense et constante de l'atmosphère, dans ce pays où
l'inondation est naturelle, d'où sourd sans cesse l'eau salée. Ils
vécurent pendant bien longtemps dans des conditions précaires, abris
de fortune, écuries en ruines et sans toit, ou pas d'écuries du
tout, sans cesse exposés à tous les vents, à toutes les pluies. Et
que d'ennemis Les crevasses du boulet qu'il fallait cicatriser
malgré l'excès de travail et la boue salée ; les blessures
exaspérées par le harnais porté sans arrêt ; les parasites, tels la
gale importée par des chevaux pris à l'ennemi ; le sable que les
animaux reniflent avec le vent; ce sable des dunes, qu'ils lèchent
parfois, qu'ils avalent avec l'eau non soigneusement décantée, ce
sable qui cause des lésions intestinales souvent mortelles ; l'eau
elle-même qu'il fallait précautionneusement purifier, car les eaux
des rivières, des « vaarten », de l'inondation, étaient partout
souillées de sang humain et couvraient des cadavres.
Aujourd'hui, tout cela s'est amélioré. Des
infirmeries divisionnaires reçoivent les chevaux légèrement atteints
ou ceux qui sont intransportables. Une infirmerie centrale
admirablement aménagée, sous le contrôle de savants vétérinaires,
recueille les sujets dont l'immobilisation menace d'être assez
longue.
Un harnachement nouveau a été imaginé et est fabriqué
en masse par les ateliers de sellerie de l'armée belge ;
harnachement qui permet, en cas de menace de blessure, de remplacer
le collier de trait par la bricole.
Néanmoins, il fallut remédier aux pertes. Pendant les
premiers jours de l'Yser surtout l'hécatombe avait été sérieuse. Et
puis, il s'agit de pourvoir toutes les batteries de nouvelle
formation, les nouveaux caissons et les formations accessoires et de
réserve. Ce fut aux réservoirs du Nouveau-Monde qu'alla puiser
l'armée belge.
Des commissions de remonte furent envoyées dans les
Etats américains, tant du Nord que du Sud et du Centre. Des bateaux
belges, montés par des marins belges, commandés par des officiers
belges, armés par des Belges, s'en allèrent chercher, de l'autre
côté de l'Océan, de pleines cargaisons de jeunes chevaux. On en
perdit peu pendant les traversées. Mais les animaux en général trop
peu faits, trop faibles, inégaux, doivent être soumis — dans une
sorte de Centre d'instruction, eux aussi — à un entraînement, à une
éducation menés de pair avec un traitement destiné à les fortifier,
les acclimater et les mettre en état de fournir tout le labeur
exigé. Ce labeur est d'ailleurs beaucoup moindre depuis la
stabilisation de la bataille. Autrefois, le travail était spécialisé
: 6 chevaux à une pièce (7,5 T. R.), 4 à chacun des caissons, 4 à
chaque voiture à vivres (fourragère).
Aujourd'hui, les canons sont immobilisés pendant des
semaines et des mois sur leurs positions. Les chevaux sont
rassemblés aux « échelons », à quelques kilomètres en arrière du
front. Tous, à tour de rôle, participent aux corvées quotidiennes :
ravitaillement par caissons, transport de vivres, transport de
matériel, etc. Souvent même ils sont mis à la disposition du génie
pour véhiculer vers l'avant les matériaux nécessaires aux travaux
les plus variés. Cependant, lorsque les batteries sont au repos, —
ce n'est ni bien souvent ni pour bien longtemps, — les chevaux
reprennent alors leur travail spécialisé, et chaque artilleur
retrouve, avec une joie 'émue et touchante, son [fidèle compagnon.
Tenue.
Deux mots, en passant, de la tenue de campagne de
l'artilleur belge. Jusqu'en 1915, il conserva son ancien uniforme
auquel il tenait beaucoup. Il ne l'abandonna qu'en bougonnant. Il
était d'ailleurs joli dans sa sobriété et il nous souvient que,
quelque temps avant la guerre, il emporta le prix dans un concours
international, à... Vienne! Cet uniforme était, il est vrai, plus
pratique et plus militaire que la plupart de ceux de l'armée belge
avant la guerre. Il ne manquait pas d'allure, avec sa courte tunique
bleu de roi à passe-poil rouge, son pantalon aux mêmes couleurs, sa
fourragère rouge, ses guêtres noires, son bonnet d'astrakan. A
cheval, le grand manteau bleu avec sa large pèlerine donnait, pour
l'ensemble, une impression d'aisance et de force. Comme l'artilleur
belge, est, en général, soucieux de la correction de sa tenue, ce
vêtement bien porté et soigneusement entretenu, avait une certaine
élégance sobre et seyante.
Aujourd'hui, à grand regret, les artilleurs ont
revêtu la monotone tenue kaki, plus nécessaire encore sur les vastes
plaines nues des Flandres que partout ailleurs. Us se distinguent du
fantassin en ce que leurs passepoils sont rouges, tandis que les
siens sont bleu de roi, en ce que l'écusson de leur col est bleu de
roi tandis que celui de l'infanterie est rouge. Pour tous,
l'indication du numéro de régiment se trouve brodée sur les pattes
d'épaule, sur le bonnet de police. Les artilleurs portent culotte et
guêtre moulée. Celle-ci et la bottine sont 'en cuir fauve. Le
manteau est un large manteau de cavalerie, de couleur kaki, mais
sans la belle et bonne pèlerine de jadis. En plus de cette tenue de
drap, l'artilleur possède un costume de toile de coton. Vêtement
d'été que, pour soigner son uniforme de campagne, il endosse, par
tous les temps, au travail.
L'officier a la même tenue, que ses hommes, taillée
dans un drap spécial ; ses insignes sont d'or au lieu d'être de
bronze ou argentés. Il porte en plus le ceinturon de cuir bruni avec
baudrier. Le sous-officier porte la ceinture de cuir, simple.
(A suivre.)
Lieutenant E. van Erde.
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