REVUE MILITAIRE SUISSE

LX1I1- Année J° 7 Juillet 1918

Relations Intérieures et Extérieures.

 

L'artillerie de campagne belge pendant la guerre 1914-1918

Première partie

 

Autor(en): Erde, E. van

Objekttyp: Article

Zeitschrift: Revue Militaire Suisse
 

Cette étude ne peut avoir un caractère didactique ; elle n'aura même point de prétentions techniques. Elle n'aura qu'un souci : être tout entière, d'une sincérité documentaire,
d'une vérité objective.

Nous ne parlerons ici que de choses vues, de choses vécues au cours de cette campagne. Notre lecteur ne s'étonnera donc pas, nous l'en prions, d'un certain défaut d'ordonnance. Il ne sera point surpris si nous délaissons certains sujets ayant rapport à l'artillerie de campagne : c'est que l'occasion nous aura fait défaut d'en prendre une connaissance pratique, suffisante.
D'autre part, il va sans dire que nous ne pourrions pas parler délibérément de certaines questions sur lesquelles un secret plus ou moins complet est encore de rigueur : certains détails d'organisation, certains côtés techniques, etc.

Le lecteur de la Revue militaire suisse connaît trop la valeur de la discipline vraie, pour nous reprocher de nous y astreindre complètement. Il voudra bien nous accorder son indulgence.
Nous espérons que ce que nous pouvons écrire ici suffira pour démontrer les points suivants : d'abord ce qu'était le matériel de l'artillerie de campagne belge au début de la guerre et comment ce matériel fut entretenu, amélioré et formidablement augmenté au cours même de là guerre; ensuite comment était recruté le personnel (officiers et soldats) avant 1914, et comment il fut remplacé, comment les vides furent comblés, les formations nouvelles pourvues au cours de la lutte. Il y avait là deux problèmes d'une gravité considérable, d'une importance vitale. Nous verrons comment les a résolus le commandement belge, grâce à une énergie, à une ténacité, à une opiniâtreté sans pareilles, malgré les circonstances les plus difficiles, les plus douloureuses qu'un peuple ait jamais traversées. Et nous pensons bien que si ce récit constitue une louange justifiée envers ce peuple, il peut constituer aussi un enseignement digne d'intérêt et d'attention pour d'autres nations.

Semblable article nous eût paru tout à fait incomplet s'il n'eût comporté quelques lignes relatives à la cavalerie de l'artillerie de campagne, et surtout quelques lignes relatives à la vie des artilleurs sur le front belge.

Les lecteurs de la Revue militaire suisse savent déjà dans quelles conditions d'infériorité la Belgique dut subir la guerre.

Ils savent que ce pays, profondément antimilitariste, confiant dans la parole des grandes puissances garantes de sa neutralité, répugnait à toute augmentation des charges militaires. Il ne pouvait pas croire qu'il se trouvait une seule de ces puissances — elles s'appellent elles-mêmes dans ces traités : Hautes Puissances — capable de renier sa signature. A vrai dire, pareille déloyauté pouvait paraître invraisemblable, à des esprits droits et sincères.

Bref, dès que le peuple belge connut la proposition déshonorante que lui faisait l'Allemagne : « laisser passer, contre paiement, l'armée destinée à envahir la France », il se leva en armes : « Plutôt la guerre »

En cinq jours 50 000 volontaires voulurent s'engager. On ne put les enrôler faute de bureaux pour les inscrire, faute d'équipements et d'armements. En cinq jours aussi toute la mobilisation de l'armée sur pied de guerre était achevée. C'était le sacrifice. Sacrifice librement, volontairement consenti. Sacrifice, parce que la Belgique connaissait l'écrasante puissance militaire de l'Allemagne ; parce qu'elle connaissait le potentiel d'Elsenborn, à ses frontières ; parce que, aussi, elle connaissait sa propre faiblesse, principalement à cette heure qui la surprenait en pleine crise de réorganisation militaire. Malgré ces conditions lamentables, les Belges firent carrément tête à l'ennemi et nos lecteurs savent de quelle façon ils l'arrêtèrent dans sa marche, l'empêchèrent de réaliser ses plans, protégèrent la mobilisation française et, plus tard, jouèrent avec maîtrise le rôle qui leur était dévolu sur le théâtre général de la lutte. Comment réalisèrent-ils cette défense qui stupéfia les Allemands au point que ceux-ci, dans la fureur de leur déception, commirent ces autres crimes inoubliables : Louvain, Andenne, Aerschot, Termonde, Dinant

Comment, entre autres choses, parvinrent-ils à ne pas se laisser écraser par cette masse formidable d'artillerie qui devait, au dire du commandement allemand, broyer tout ce qui s'opposerait — tout ce qui oserait s'opposer — à elle

De quels moyens disposaient-ils pour lutter contre cet appareil effrayant que l'empereur Guillaume faisait résonner périodiquement pour terrifier l'univers En 1918, la Belgique aurait dû se trouver en possession d'un sérieux outil de défense : c'est à cette époque qu'aurait complètement développé ses effets la nouvelle loi militaire votée — avec combien de peine — en fin 1913. Son armée eût comporté des effectifs en rapport avec la situation réelle du pays, sa population, sa richesse, sa position géographique et ses aspirations. Le chiffre d'hommes sous les drapeaux devait s'élever à 350 000. Le matériel, l'armement eût été sans doute proportionné à cet effort.

Malheureusement telle n'était pas la condition militaire dé la Belgique en août 1914. Grâce à l'activité, à la prévoyance du ministre de la Guerre, la formation nouvelle avait été adoptée dès la fin décembre 1913, et l'armée de paix fut immédiatement organisée selon la nouvelle conception admise.

C'est ce qui permit la mobilisation si rapide d'une centaine de mille hommes et l'effort subit de résistance opposé à l'avalanche allemande.

Rappelons, d'après les documents officiels publiés par le Gouvernement belge, la composition de l'armée de campagne
au 4 août 1914 :
Ie division d'armée : 14 000 fusils, 500 sabres, 18 mitrailleuses, 48 canons.
2e division d'armée : 14 000 fusils, 500 sabres, 18 mitrailleuses, 48 canons.
3e division d'armée : 18 500 fusils, 500 sabres, 24 mitrailleuses, 60 canons.
4e division d'armée : 18 500 fusils, 500 sabres, 24 mitrailleuses, 60 canons.
5e division d'armée : 14 000 fusils, 500 sabres, 18 mitrailleuses, 48 canons.
6e division d'armée : 14 000 fusils, 500 sabres, lcS mitrailleuses, 60 canons.
Une division de cavalerie : 2500 sabres, 450 cyclistes, 12 canons. Au total, pour les six divisions d'armée et la division de cavalerie : 93 000 fusils, 5500 sabres, 120 mitrailleuses et 336 canons.
Rappelons une fois de plus — ne faut-il pas répéter les démonstrations les plus évidentes — épie la Belgique, jusqu'au 3 août 1914 au soir, avait ses diverses unités respectivement dirigées vers ses diverses frontières, prêtes à s'opposer à l'envahisseur quel qu’il fût, d'où qu'il vînt.

La Ie division, concentrée à Gand (division des Flandres) faisait face à l'Angleterre.
La 4e division à Namur, la 5e à Mons, faisaient face à la France en cas d'attaques venant ou de Givet, ou de Maubeuge ou Lille.

La 3e division, à Liège, faisait face à l'Allemagne.

La 6e division, en réserve à Bruxelles, avec la division de cavalerie, pouvait se porter rapidement sur la frontière menacée, vers laquelle seraient dirigées ensuite les quatre autres.
Ces dispositions de défense, conservées jusqu’a la dernière limite possible, jusqu'à l'heure où.le doute ne fut plus permis, où la frontière de l'est fut violée, démontrent au plus incrédule l'insanité des affirmations des Allemands disant que les Belges avaient partie liée avec leurs adversaires.
Jusqu'au moment où l'armée teutone eut foulé le sol de la Belgique, la lre division d'armée avait pour mission de s'opposer à la pénétration de tout soldat anglais sur le territoire neutre ; la 4e et la 5e à l'entrée de tout soldat français, aussi bien que la 3e de s'opposer à l'envahissement germain. Aucun doute n'est possible, aucun doute n'exista jamais dans l'esprit des soldats belges.
Aucun doute, ajouterons-nous, ne put exister non plus à ce sujet dans l'esprit des Allemands. Tout ce qu'ils ont tenté d'avancer à ce sujet est aussi faux qu'était fausse l'affirmation donnée par l'ambassadeur de Guillaume II à Bruxelles — au moment où déjà des soldats prussiens étaient en Belgique — que le territoire belge serait respecté par l'Allemagne

Nous avons vu quels étaient les effectifs de- l'armée de campagne belge, sa force en mitrailleuses et en artillerie.

Voyons maintenant de quel matériel était formée cette dernière.

Matériel.
Le seul type de canon de campagne que possédait l'armée belge au début des hostilités était le canon 7.5 belge T. R.

En principe, c'est le canon de campagne Krupp, mais fabriqué en Belgique et modifié selon divers brevets et inventions belges. Voici quelques-unes de ses caractéristiques.

L'appareil de fermeture de culasse est un système à coin horizontal. Le coin se déplace latéralement, vers la droite de la pièce (en batterie), suivant le mouvement d'un arbre de translation horizontal cfui fait corps avec lui. Cet arbre est constitué par une vis à pas très allongé. La vis engrène sur un écrou ménagé dans la paroi supérieure du logement de culasse. Au dévirage, elle entraîne tout le coin hors de son logement. La poignée qui commande ce mouvement est rabattue contre la paroi externe de la culasse. Ceci occasionne un léger retard du tir et ne permet pas de donner toute la vitesse que comporterait la pièce. En effet, ce n'est guère que lorsque le tube, après recul, est revenu jusqu'à sa position normale, que le servant peut atteindre la poignée et provoquer l'éjection de la douille.

L'appareil de fermeture renferme aussi le mécanisme de mise à feu avec le percuteur, son ressort et sa plaque d'appui; en plus, les sécurités habituelles, sauf cependant la sécurité contre longs feux. Les pièces belges, en général, ne comportent pas ces dernières. Et l'usage paraît avoir justifié cette exclusion : aucun accident imputable à ce fait n'a jamais été signalé.

L'appareil de pointage est du type normal des modèles récents. Hausse courbe corrigeant automatiquement la dérivation et permettant de remédier à l'inclinaison des tourillons, en cas d'obliquité de l'essieu. Lunette de pointage de Korrodi. En outre, une échelle des écarts permet d'effectuer, pour chaque bouche à feu, les corrections en direction nécessitées par son régime particulier.

La hausse est graduée jusqu'à 5600 mètres, distance maxi Au front belge. — Un aspect des travaux de défense.mais primitivement attribuée au tir du 7.5 belge T. R. Néanmoins ce tir a pu être régulièrement et systématiquement dirigé jusqu'à des portées beaucoup supérieures, grâce à un artifice dont il sera parlé plus loin. La ligne de mire n'est pas indépendante. En conséquence, le même servant se voit obligé de donner la direction, la hausse et le niveau. Il y a là — et ceci se conçoit facilement — une nouvelle cause de diminution — légère — dans la vitesse du tir.
Le récupérateur du 7.5 belge est à ressorts. Les ressorts entourent le cylindre-frein. Ils prennent appui sur le rebord antérieur de ce cylindre. Celui-ci, en reculant avec le tube les comprime. Leur détente provoque, la rentrée en batterie.

Frein. Son piston est fixé par sa tige à l'avant du berceau, lequel ne participe point au recul. Le cylindre, nous l'avons dit, recule avec le canon auquel il est fixé. Au cours de la poussée, l'émulsion glycérinée qui au repos se trouvait en avant du piston est refoulée en arrière. Ce refoulement du liquide s'effectue au travers de petits canaux ménagés dans l'épaisseur du corps de piston. Grâce à un artifice ingénieux, la section de ces canaux peut varier automatiquement pendant ce déplacement et règle toujours le passage de l'émulsion glycérinée de façon à éviter tous chocs nuisibles et conserver la stabilité de la pièce. Pour aboutir à ce résultat, voici le dispositif utilisé. Le corps du piston se décompose en deux parties. La moitié arrière forme manchon autour de sa tige. Elle porte à sa face superficielle des saillies qui s'engagent en des rainures hélicoïdales creusées dans la surface interne du cylindre-frein. Au refoulement, cette moitié arrière du piston prend un mouvement de rotation réglé par la disposition même des rainures.

En conséquence, les orifices correspondants des deux parties du corps de piston ouvrent une communication variable assurant exactement l'écoulement de liquide nécessaire pour régulariser le recul.

Berceau. Le berceau, qui porte le tube, loge le frein et le récupérateur. Il présente à sa face inférieure un tourillon vertical qui s'emboîte dans un logement creusé dans le porte-berceau. Dans la manœuvre de pointage en direction, déjà dégrossie par le déplacement de la crosse, le parachèvement se fait par pivotement du berceau autour de cet axe. Evidemment, ce mouvement amène l'axe du tube, pendant les tirs, hors du plan de symétrie de l'affût ; mais l'on considère comme suffisant le dégrossissement si le parachèvement ne déplace pas le canon sur l'affût de plus de 5 mm. Le pivotement du berceau se commande par une manivelle de pointage en direction placée à gauche de l'extrémité postérieure du berceau.

Porte-berceau. Il repose sur l'affût par deux tourillons horizontaux autour desquels il est mobile dans le plan vertical. Il imprime au berceau et, par conséquent, au tube, l'inclinaison voulue, commandée par le mouvement ascendant ou descendant de la vis de pointage en hauteur.
Au total, pièce légère — en bataille, soit canon et avant-train réunis, elle pèse 1850 kilos, y compris 350 kilos de munitions enfermées dans l'avant-train, — mais très solide et très robuste. Sa résistance au travail a largement dépassé les espérances les plus optimistes.

Munitions. Le canon de 7,5 T. R. belge était, au début de la campagne, pourvu de deux espèces de projectiles : a) un shrapnell à fusée à disques, à double effet : b) un obus brisant à faible capacité .

Réglementairement, chaque caisson contenait 61 obus. L'avant-train en contenait 40.
Pièce et caisson étaient attelés respectivement de six chevaux, qui pouvaient les manœuvrer à toutes allures dans les terrains les plus variés.

En résumé, ce matériel était, dans son ensemble, simple, robuste, bien en mains, facile à mettre et à maintenir en action. Entretenu avec un soin jaloux par ses servants et ses ajusteurs, il put rendre constamment — et au delà — les services qu'en attendait le commandement. Sa résistance et sa durée dépassèrent largement les prévisions les plus optimistes.

Néanmoins, il était notoirement insuffisant pour soutenir à lui seul la lutte contre la puissante artillerie de campagne que traînait avec elle l'armée envahissante. Aussi fut-il nécessaire de parer aux exigences chaque jour plus impérieuses de cette guerre où Krupp jouait un rôle si prépondérant. Il fallut adjoindre, au matériel primitif et réduit, successivement un matériel nouveau, de plus en plus abondant, de plus en plus puissant, de plus en plus lourd.
Tout cela a subi au cours de la guerre des transformations successives complètes : projectiles nouveaux, explosifs différents, etc., qui ont considérablement amélioré la valeur de cet armement.

Aujourd'hui l'armée belge est pourvue d'une artillerie de campagne sérieuse, nombreuse, où les calibres puissants et les longues portées sont largement représentés. Que de fois nous avons entendu soldats et officiers s'écrier : « Ah si nous avions eu tous ces canons en août 14 Ils n'auraient jamais traversé la Meuse »

N'oublions pas, toutefois, que la situation de l'artillerie belge fut tout à fait spéciale. Que le commandement belge a subi, plus que tout autre, la contrainte des circonstances les plus impérieuses. A ces soldats, il fallait des canons, des munitions », selon le mot fatidique. Tout ce matériel nouveau, il a fallu le créer en pleine guerre, face à l'ennemi, dans des conditions absolument uniques, en pays étranger, loin de tout réservoir de personnel, loin de toutes réserves de matériaux. Il a donc été nécessaire de se plier à l'urgence ele chaque jour ; faire du neuf en même temps qu'on réparait du vieux et qu'on adaptait du butin.

Lutte constructive quotidienne, parallèle à la lutte destructrice de l'armée contre l'envahisseur.

Ce fut un merveilleux effort que celui qui fit, en pareilles circonstances, de la pauvre armée belge de 1914, la solide armée belge d'aujourd'hui : il ne put être réalisé que grâce aux fermes vertus du peuple, à l'énergie incessante du commandement.

Comment s'accomplit ce prodige. Le monde croyait cette armée écrasée ; les Allemands proclamaient qu'elle était hors de cause. Et la voilà plus forte, bien mieux armée qu'au commencement de la guerre Il serait trop long de décrire ici toutes les phases de ce phénomène. Un livre en a raconté ce qui se rapporte à l'artillerie et à certains autres objets ; c'est le livre du commandant Willy Breton, que les lecteurs de la Revue militaire suisse ont eu l'occasion d'apprécier déjà à diverses reprises. Ces Etablissemenls d'artillerie sont un travail documentaire des plus intéressants, des plus instructifs ; des pages de « petite histoire » des plus utiles à ceux que préoccupent les questions d'art et de science militaires et, particulièrement, le domaine - -aujourd'hui capital — de l'industrie de guerre.

Le Belge aime beaucoup à se suffire ; il aime faire un travail dans sa totalité. Naturellement, il aime faire ses canons, fabriquer ses munitions. On bâtit des ateliers, des fabriques, des usines ; le travail s'y activait, les résultats devenaient magnifiques... Survint la catastrophe de Graville, en décembre 15 « y faisant littéralement table rase, n'y laissant ni un homme vivant, ni un mur deboutl» C'était à décourager les plus braves, les plus obstinés. Les Belges s'acharnèrent. Un an après le désastre, les nouvelles usines occupaient un espace double des premières : neuf hectares de bâtiments couverts

Qu'y fait-on ? Pour l'artillerie de campagne, tout ce qui lui est nécessaire. Des munitions d'abord. Projectiles de tous calibres, de tous genres, en quantités énormes : sur le front belge, la lutte d'artillerie ne cesse ni jour ni nuit. Et les usines ne se contentent pas de fabriquer des projectiles usités, on y crée des modèles, on y invente des types.

Plus loin, ce sont d'autres usines qui fabriquent, qui manipulent les explosifs, combinent les poudres, chargent les engins. Là non plus on ne se borne pas à suivre la coutume : on fait des essais, on crée. Des choses intéressantes ont été trouvées déjà.

Pour cette branche de l'industrie de guerre, les Belges ont jusqu'en Angleterre fondé des installations nouvelles d'une étendue étonnante. Et les voici devenus... fournisseurs des armées britanniques Et Elisabethville, une cité exclusivement belge en tout, — pour ne parler que de cela, — livre aux Anglais chaque semaine un nombre énorme d'obus de gros calibre : nombre qui se chiffre par dizaines de mille. En Angleterre encore s'élèvent de vastes usines où les Belges fabriquent les explosifs. (Signalons, en passant, quoique cela sorte de notre sujet, qu'à Birmingham ils ont créé une importante fabrique)

Au front belge. — Un aspect du paysage. Des batteries sont dissimulées dans le voisinage, si habilement qu'il est impossible de discerner leur emplacement. d'armes de guerre : fusils, fusils-mitrailleuses, mitrailleuses, accessoires, etc., qui non seulement peut suffire aux besoins de leur armée, mais même fournir aux armées alliées.

Revenant à l'artillerie, nous verrons des ateliers belges livrer tous les instruments de précision utilisés aux pièces : instruments de pointage, de réglage, instruments d'optique, de physique, de géodésie, lunettes, altimètres, cercles, alidades, goniomètres, périscopes, boussoles, etc., etc.

Mais l'arme elle-même, le canon lui-même, ils le fabriquent entièrement. Et n'est-ce pas un beau spectacle que voir des ouvrières et des soldats belges, dans des usines belges, sous la conduite d'officiers et d'ingénieurs belges, forger les pièces d'artillerie qui aideront leur courageuse armée à délivrer leur patrie N'est-ce pas là de la belle et curieuse histoire militaire.

Personnel.

Mais il est temps de parler un peu du personnel, officiers, sous-officiers, soldats, qui anime ce matériel si laborieusement acquis.

Recrutement et formation du personnel.

Officiers. — En temps de paix, presque tous les officiers de l'artillerie, en Belgique, sortaient de l'école militaire. Pour être admis à suivre les cours de cette école, ils avaient à subir un examen portant à la fois sur la culture générale, sur les programmes littéraire et scientifique ; épreuves orale et écrite sévères, par lesquelles se faisait déjà une sérieuse sélection. Cet examen différait selon que le candidat se présentait aux armes simples (infanterie et cavalerie) ou aux armes spéciales (génie et artillerie).

Le futur artilleur, pendant deux ans, travaillait les matières inscrites au programme, assez chargé, sans toutefois négliger une instruction et une éducation militaires étroitement surveillées et activement conduites. Des examens fréquents, des inspections, des revues, tenaient sans cesse en haleine le corps professoral et les élèves, exigeaient de tous une discipline, militaire stricte, maintenaient constamment un niveau intellectuel et moral particulièrement élevé. L'on sait d'ailleurs que malgré la grande sévérité bien connue qui régnait à l'Ecole militaire, le renom de celle-ci lui attirait chaque année un grand nombre d'étudiants de tous les pays du monde ; l'on y voyait fréquemment le Russe à côté du Japonais, le Chinois avec le Roumain, etc.

Sorti de l'Ecole militaire avec une cote suffisante, notre futur officier d'artillerie passait à l'Ecole d'application où, pendant deux ans et demi environ, il se spécialisait définitivement.Là se parachevait son éducation militaire et son développement scientifique. (Au sortir de cette école, les jeunes gens que rebutait la carrière des armes, pouvaient devenir titulaires d'emplois d'ingénieurs industriels au même titre que les ingénieurs diplômés des universités.) Le travail était ardu, de plus en plus étroitement contrôlé et activé. Citerons-nous ici des noms qui ont illustré l'Ecole d'application militaire de Bruxelles Mentionnons au hasard de la plume le général de Tilly, dont les études de géométrie sont si hautement estimées partout ; le général Brialmont, qui fut le maître incontesté de la fortification moderne ; le général Léman, dont la gloire, acquise au siège inoubliable de Liège, ne doit cependant pas éclipser complètement le renom de mathématicien. (L'on sait que Léman dirigeait l'Ecole militaire peu de temps encore avant la guerre. Il ne la quitta que pour aller prendre le commandement de la région fortifiée de Liège et la direction de sa mise en état de défense.)

Un certain nombre d'officiers d'artillerie, quelque temps après leur sortie de l'Ecole d'application, allaient achever leur éducation de cavaliers à Ypres. Là se trouvait la fameuse' école d'équitation dont le nom est cité partout avec ceux de Saumur et de Turin. (Peu de mois avant la guerre, c'est à Brasschaet que s'était transportée l'Ecole d'équitation pour les artilleurs.)

Enfin, pour achever le cycle des études, ajoutons que certains officiers d'artillerie passaient par la suite à l'Ecole de guerre, qui leur ouvrait les cadres de l'état-major. Mais, en quoi l'artillerie différait singulièrement des autres armes, ce n'étaient pas toujours les élèves sortis les premiers de leur promotion cjui passaient à l'Ecole de guerre ; trop amoureux de leur spécialité, de la vie active journalière, ils déclinaient souvent cet honneur.

Mais il fallait entretenir, renouveler les connaissances spéciales de l'officier. Chaque année, il allait faire, au Polygone de Brasschaet, une période d'exercices de tir, d'école à feu, de travail actif et divers, au cours de laquelle il lui était donné d'exécuter des tirs réels en conditions variées.

Enfin, tous les trois ans, parfois plus souvent, l'artillerie participait largement aux grandes manœuvres d'armes combinées qu'exécutait toute l'armée belge.

Si nous suivons notre officier d'artillerie à sa sortie de l'Ecole d'application, nous le voyons arriver dans telle unité où, jeune sous-lieutenant, il sera chef d'une, section (soit une demi-batterie). Il y jouit de très peu d'initiative, en somme, exécutant et veillant à l'exécution du service commandé par le capitaine commandant la batterie. Il acquiert pendant la bonne douzaine d'années qu'il passe là une somme sérieuse de connaissances pratiques développées par une activité de tous les jours. Après avoir porté quelques années un deuxième galon de lieutenant, il commandera enfin une batterie pendant un temps variable, mais atteignant quelquefois dix ans. Lorsqu'il aura entre 20 et 25 ans de grade, il sera appelé à subir l'examen qui lui permettra de passer clans le cadre des officiers supérieurs. Examen où se fait une sélection minutieuse, car il porte à la fois sur les qualités intellectuelles et morales, et sur les capacités physiques du récipiendaire, sa tenue à cheval, son aptitude à divers commandements, etc., etc. Devenu major, voici notre, officier commandant, en règle générale, un groupe de trois batteries. Plus tard, portant les galons de colonel, il aura un commandement équivalent à celui de trois groupes, sera chef d'un régiment. Général, il sera placé à la tête d'une brigade d'artillerie, à moins qu'il ne soit pourvu d'un service spécial. Devient-il lieutenant général, il pourra conserver la charge d'inspecteur général de l'artillerie ou, sortant de sa spécialisation, prendre le commandement d'une division d'armée, à moins que l'appellent d'autres destinées.

La guerre, naturellement, révolutionne tout cela. Dès le début des hostilités, il se constata une sérieuse pénurie d'officiers, à quoi force fut de remédier sans retard. Des officiers de réserve comblaient une partie des vides. Mais leur nombre ne suffisant pas, l'on y employa d'anciens officiers qui, ayant quitté l'armée, s'offraient à reprendre du service pour la durée de la guerre, et même quelques sous-officiers d'élite nommés pour la circonstance. Mais des vides encore se produisirent au cours des événements, de plus des batteries nouvelles furent formées ; il s'agissait de parer aux nécessités chaque jour plus impérieuses de la campagne.

Un organisme spécial fut créé.

Le C. I. S. L. A. A. (Centre d'instruction de sous-lieutenants auxiliaires d'artillerie) fut placé sous la direction d'un chef averti et de quelques officiers choisis ; il eut pour mission de former le plus rapidement possible de nouveaux officiers d'artillerie. Pour recruter les candidats l'on y appela les élèves de l'Ecole militaire qui se destinaient aux armes spéciales ; puis des officiers de cavalerie, volontaires, désireux d'une activité plus grande que celle qui semblait alors réservée à leur arme ; puis furent appelés d'anciens sous-officiers de choix, des ingénieurs, des candidats en sciences physiques et mathématiques.

Plus tard, on dut admettre des jeunes gens moins particulièrement désignés à ce choix, mais ayant acquis un certain degré d'instruction supérieure. Toutefois, ceux-ci furent préparés à ce rôle par leur passage dans un établissement de création récente : centre d'instruction préparatoire à la sous-lieutenance auxiliaire d'artillerie (C. I. P. S. L. A. A.). Le programme du C. I. S. L. A. A. dut forcément revêtir un caractère essentiellement pratique. Il s'agissait, au début surtout, d'aller vite et la durée des premières sessions ne dépassait guère deux mois. Aujourd'hui, le temps presse un peu moins et le séjour à l'école est généralement de quatre mois. Inutile de dire que les élèves étaient et sont encore soumis à un travail intensif. Que de choses à leur apprendre en si peu de temps pour les mettre à même de commander bientôt une section, voire une batterie Citons, pêle-mêle, les notions de balistique, de topographie, et lecture des cartes, des documents photographiques ; la théorie des tirs sur le terrain, l'exécution pratique de ces tirs ; l'hippologie et l'équitation; la manœuvre de la pièce, l'évolution de la batterie en terrains variés, sa mise en position, choix du terrain, etc., enfin l'exercice du commandement. Et toutes ces matières font l'objet d'examens fréquents et d'une épreuve finale corsée avant que le candidat reçoive son exeat.

A-t-il satisfait Il est renvoyé au front avec le titre d'adjudant candidat-officier ; il est adjoint pendant quelques mois à un chef de section et se perfectionne encore dans la pratique du métier, pour être, ensuite, nommé sous-lieutenant auxiliaire et commander une section ou un échelon. S'il veut alors demander son admission dans les cadres de la réserve, il prend réellement grade dans la hiérarchie militaire et peut s'élever aux divers degrés de cette hiérarchie selon les règles habituellement observées.

Voici donc en fonctionnement l'usine où se font de nouveaux lieutenants d'artillerie. Mais vous connaissez l'esprit consciencieux du Belge, qui aime à achever, à perfectionner son ouvrage Il ne fut satisfait que lorsque furent créés, à côté du C. I. S. L. A. A., deux centres nouveaux, deux écoles de perfectionnement, l'une pour les chefs de sections, l'autre pour les commandants de batterie. Là ils sont mis à même d'étudier théoriquement et pratiquement les techniques nouvelles, les matériels fraîchement achevés, les méthodes nées de la veille, les innovations de manœuvres, et même les procédés encore en expérience. Ils peuvent y suivre des conférences sur les événements les plus récents, sur tout ce qui intéresse la balistique, la clastique, sur les problèmes surgis au cours des dernières opérations, sur les adaptations, les engins, les instruments mis en œuvre pendant la guerre tant par les Belges que par leurs alliés. De là, peut-être, sont sortis les projets, les ébauches d'appareils, de projectiles, les conceptions intéressantes et singulièrement efficaces qui ont à diverses reprises signalé l'activité inventive des artilleurs belges depuis la guerre. Entre autres choses, un règlement nouveau d'artillerie, très complet, très développé et très moderne a été publié, qui fait le plus grand honneur à ses auteurs.

Enfin, l'énorme développement qu'ont pris, au fur et à mesure que se succédaient les événements, l'observation et le règlement des tirs de canons par les avions, a nécessité la connaissance, tout au moins pour certains officiers, de méthodes de signalisation nouvelles, pratique de la télégraphie sans fil, correspondance rapide par signaux à grande distance, etc. Ils purent s'y familiariser à l'école « d'officiers d'antenne ».

Nous avons ainsi passé rapidement en revue les divers établissements fondés au cours même de la guerre par le commandement belge, non seulement pour créer les officiers nouveaux nécessaires aux cadres de l'artillerie de campagne, mais encore pour entretenir la science théorique et les connaissances pratiques de ces officiers, leur donner la possibilité de conserver leur niveau scientifique élevé, et de connaître les dernières nouveautés relatives à leur domaine d'activité.

Sous-officiers et soldats. D'après le règlement de 1914, le recrutement se faisait partiellement par volontariat, en grande partie par prélèvement sur les contingents annuels de milice. Les hommes destinés à l'artillerie étant choisis soit en raison de leurs aptitudes physiques, soit en raison de leurs aptitudes professionnelles. La durée de leur temps de service sous les drapeaux était d'environ 26 mois.

Les six premiers mois étaient consacrés à la formation individuelle du canonnier. Discipline militaire, école du servant, école du cavalier, école de la pièce, école de la voiture, etc. Au bout de cette première période, l'instruction individuelle paraissant achevée, commençaient les exercices d'évolution de batterie, puis de groupes, les exercices en terrains variés, les manœuvres d'ensemble et les écoles à feu. Pendant cette seconde période se développait et s'entretenait l'éducation militaire du canonnier qui devait devenir apte à se plier à toutes les éventualités, à toutes les exigences de son service en temps de guerre. « La préparation à la guerre est le but où doit tendre tout l'enseignement du temps de paix », proclamait le « Règlement général pour l'artillerie de campagne ».

En principe, les prescriptions réglementaires admettent une instruction différente pour les canonniers-servants et pour les conducteurs. Toutefois, il est entendu que ces derniers doivent être mis à même de remplacer éventuellement les premiers, tout au moins dans leurs fonctions les plus simples, celles de pourvoyeurs à la pièce et de chargeurs. « Les officiers ont la responsabilité de l'aptitude au service des soldats qui leur sont confiés ainsi que de leur développement intellectuel et moral. »

Dès leur entrée au corps, les miliciens les plus intelligents et les plus instruits sont présentés à un examen. L'ont-ils réussi, il leur est loisible de suivre les cours de l'école de brigadiers. Là, tout en accomplissant le service normal quotidien, ils étudient pendant six mois d'une façon plus approfondie les éléments du service intérieur, le matériel, etc., etc. Par la suite, les plus aptes seront admis à l'école de sous-officiers dont les cours ont une durée de six mois environ et d'où ils sortiront maréchaux des logis. De ceux-ci, ceux qui désirent faire carrière à l'armée peuvent devenir successivement premiers maréchaux des logis ou fourriers, chefs, premiers chefs, adjudants sous-officiers, adjudants chefs de section. Enfin, dans le nombre des sous-officiers se recrutent, à l'occasion, des sujets d'élite que leur conduite, leurs qualités intellectuelles, leur instruction, leur éducation, désignent au choix de leurs chefs et qui pourront se présenter aux examens, extrêmement ardus, leur ouvrant le cadre des officiers. Faut-il dire que, pendant la guerre, toute cette minutieuse organisation fut complètement renversée par la force des choses Nos lecteurs savent l'énorme difficulté qu'éprouvait l'armée belge de recruter du personnel nouveau, tous ses réservoirs naturels d'hommes se trouvant en pays envahi. Force était bien, cependant, de remplacer les artilleurs mis hors de combat depuis août 1914 et de fournir aussi les éléments nécessaires à toutes ces batteries de nouvelle formation que nous avons vu se développer et se multiplier si rapidement. Pour y arriver, le commandement puisa surtout à trois sources différentes.

D'abord, il incorpora à l'armée de campagne les artilleurs de forteresse rendus disponibles par la chute des forts ; ce fut là un excellent contingent. Il y versa ensuite les hommes d'un certain âge, ou mariés et pères de famille, appelés sous les drapeaux par les lois nouvelles sur le recrutement édictées au cours de la guerre. Il y utilisa enfin des fantassins récupérés, inaptes au service d'infanterie par suite de blessures ou de maladies, etc. Les soldats de la première de ces trois catégories purent être envoyés, sans préparation particulière, dans les batteries de campagne. Les autres durent naturellement subir une période d'apprentissage avant d'être versés dans les unités. La durée de cet apprentissage fut variable en raison des exigences plus ou moins impérieuses du front.

Il se fit dans un Centre d'instruction d'artillerie (C. I. A.) créé dans ce but dès les premiers mois de 1915. Les éducateurs sont des officiers venus des tranchées à tour de rôle. Au C. I. A. le travail est poussé activement, fébrilement. Il est dirigé judicieusement de façon à inculquer avant tout aux élèves les connaissances pratiques nécessaires au métier qui les attend. Le programme y est uniforme. Toutes les recrues doivent pouvoir, en sortant du Centre d'instruction, parer à tous les besoins inhérents au fonctionnement d'une pièce, d'une batterie en campagne. Il faut pouvoir servir au caisson comme au canon, pointer ou pourvoir ou tirer ; il faut aussi éventuellement manœuvrer chevaux et attelages. Aussi, du matin au soir, parfois du soir au matin, les élèves sont à la pièce, à cheval, au terrain, au tir. C'est qu'il faut aller vite ; à certains moments, il fallut aller extrêmement vite et suivre les demandes pressées du front. Certaines sessions ne durèrent pas deux mois Cela paraît bien peu, en regard du temps considéré autrefois comme indispensable pour cette instruction. Et cependant les résultats donnent pleine satisfaction. Les officiers ne se plaignent pas de leurs nouveaux artilleurs et nombre de ceux-ci conquièrent rapidement au front leurs premiers galons. D'ailleurs, nous pourrons tantôt nous rendre compte un peu de la valeur de l'artillerie belge en général — et les jeunes commencent à y prendre une place de plus en plus grande ; d'autre part, les Français, qui l'ont empruntée à la bataille de la Somme, les Anglais, qui en utilisent souvent des unités, sont unanimes à en faire le plus sérieux éloge. Et ceci soulève un problème d'importance générale qu'il sera intéressant d'étudier un jour au moyen de données internationales. Est-il vraiment possible de faire un soldat, un artilleur en si peu de temps Cette possibilité peut-elle être considérée comme permanente Ou bien soutiendra-t-on que cela pouvait être obtenu sous la poussée violente des événements tragiques, sous l'impulsion d'un patriotisme exacerbé par la situation actuelle, mais que l'on ne pourrait plus attendre, plus tard, pareil effort des professeurs et des élèves; des officiers, des instructeurs et des recrues Si la première thèse est admissible, quelle réduction partout du temps de service Sans envisager la question en détail, ne peut-on songer à un séjour très abrégé des miliciens sous les drapeaux avec, comme corollaire, des rappels d'une quinzaine de jours chaque année, avec quelques jours de manœuvres L'homme entretenu plus longtemps, jusqu'à 32 ou 35 ans ; une armée de réserve bien en mains... Mais tout cela s'écarte trop de notre sujet. Sans doute aurons nous à y revenir. En tous cas, l'étude approfondie du fonctionnement des résultats des C. I. dans les différentes armées, pendant cette guerre, fournira à ce sujet une contribution sérieuse ; et son retentissement sur l'avenir sera sans doute considérable.

Chevaux.

Quelque intérêt que puisse présenter pour tous les artilleurs ce chapitre de notre étude, force nous sera d'être bref : nous dépassons déjà les limites permises. Au début de la guerre, l'artillerie belge de campagne possédait une cavalerie très suffisamment nombreuse, et très belle, en parfait état. Le rendement en fut excellent. Les artilleurs furent très satisfaits de leurs aides fidèles. L'artillerie de campagne utilisait surtout deux races : l'irlandaise et l'ardennaise. La première pour la selle (et pour le trait dans l'artillerie à cheval). Pour le trait, à l'artillerie montée — énorme majorité — elle préférait l'ardennais, cheval du pays, plus petit, plus trapu, mais plus robuste, au pied aussi sûr que celui des bêtes de montagne. Le brio, l'assurance de ces attelages conduits par des hommes rompus au métier, étaient chose admirable et qui souvent, dans les réunions internationales, épreuves hippiques, etc., enleva les exclamations admiratives des connaisseurs.

Au moment de la retraite d'Anvers, on se trouva quelque peu dépourvu. L'artillerie avait fourni depuis le 5 août un travail extraordinairement intensif et éreintant. Des chevaux avaient été blessés, tués. De plus, nous avons vu que de nouvelles batteries avaient été créées. Il s'agissait de parer à ces besoins. On réquisitionna, entre autres, ces magnifiques bêtes de trait connues dans toute l'Europe, un des orgueils d'Anvers : les chevaux des Nations. On craignait bien un peu que tous ces animaux non entraînés au métier, à la vie irrégulière, à l'alimentation parfois capricieuse de la guerre, au bruit des caissons, aux détonations des canons, ne fussent d'une aide assez mince. Il n'en fut rien et la plupart des chevaux belges de réquisition rendirent vaillamment tous les services exigés d'eux; ils firent preuve d'une résistance insoupçonnée à la vie de campagne.

Mais il faut ajouter qu'ils étaient admirablement entretenus et soignés. L'artilleur belge aime ses chevaux. Il a pour eux une sollicitude presque fraternelle, oserons-nous dire. Il les entretient sans cesse en un parfait état de propreté, — on sait que le Belge aime que tout autour de lui soit propre, net, reluisant ; il en a une véritable coquetterie, le brossant, l'étrillant à la moindre étape ; le plus souvent s'occupant de son bien-être avant de penser à soi-même. Il en est fier, parle de lui comme d'un camarade, vante ses qualités, et il est bien rare qu'un homme ne se targue pas d'avoir le meilleur cheval de la batterie C'est à cette sollicitude que les artilleurs belges doivent d'avoir perdu par maladie ou accidents (autres que blessures au feu), un nombre infime de chevaux. L'on peut s'étonner, par exemple, qu'ils n'en aient guère perdu pendant cette longue et pénible retraite de Namur, au cours de laquelle nombre de batteries ne purent dételer une seule fois, ni se reposer, pendant cette énorme étape à marches forcées de la Meuse à Rouen, suivie du retour au front.

La résistance des chevaux fut surprenante, d'ailleurs. Pendant la guerre de mouvements, vu le petit nombre de batteries, les mêmes devaient agir partout. Les fatigues de jour et de nuit dépassèrent toutes les limites supposées possibles. Plus tard, ils durent vivre clans le sol épais et fangeux de l'Yser, dans l'humidité dense et constante de l'atmosphère, dans ce pays où l'inondation est naturelle, d'où sourd sans cesse l'eau salée. Ils vécurent pendant bien longtemps dans des conditions précaires, abris de fortune, écuries en ruines et sans toit, ou pas d'écuries du tout, sans cesse exposés à tous les vents, à toutes les pluies. Et que d'ennemis Les crevasses du boulet qu'il fallait cicatriser malgré l'excès de travail et la boue salée ; les blessures exaspérées par le harnais porté sans arrêt ; les parasites, tels la gale importée par des chevaux pris à l'ennemi ; le sable que les animaux reniflent avec le vent; ce sable des dunes, qu'ils lèchent parfois, qu'ils avalent avec l'eau non soigneusement décantée, ce sable qui cause des lésions intestinales souvent mortelles ; l'eau elle-même qu'il fallait précautionneusement purifier, car les eaux des rivières, des « vaarten », de l'inondation, étaient partout souillées de sang humain et couvraient des cadavres.

Aujourd'hui, tout cela s'est amélioré. Des infirmeries divisionnaires reçoivent les chevaux légèrement atteints ou ceux qui sont intransportables. Une infirmerie centrale admirablement aménagée, sous le contrôle de savants vétérinaires, recueille les sujets dont l'immobilisation menace d'être assez longue.

Un harnachement nouveau a été imaginé et est fabriqué en masse par les ateliers de sellerie de l'armée belge ; harnachement qui permet, en cas de menace de blessure, de remplacer le collier de trait par la bricole.

Néanmoins, il fallut remédier aux pertes. Pendant les premiers jours de l'Yser surtout l'hécatombe avait été sérieuse. Et puis, il s'agit de pourvoir toutes les batteries de nouvelle formation, les nouveaux caissons et les formations accessoires et de réserve. Ce fut aux réservoirs du Nouveau-Monde qu'alla puiser l'armée belge.

Des commissions de remonte furent envoyées dans les Etats américains, tant du Nord que du Sud et du Centre. Des bateaux belges, montés par des marins belges, commandés par des officiers belges, armés par des Belges, s'en allèrent chercher, de l'autre côté de l'Océan, de pleines cargaisons de jeunes chevaux. On en perdit peu pendant les traversées. Mais les animaux en général trop peu faits, trop faibles, inégaux, doivent être soumis — dans une sorte de Centre d'instruction, eux aussi — à un entraînement, à une éducation menés de pair avec un traitement destiné à les fortifier, les acclimater et les mettre en état de fournir tout le labeur exigé. Ce labeur est d'ailleurs beaucoup moindre depuis la stabilisation de la bataille. Autrefois, le travail était spécialisé : 6 chevaux à une pièce (7,5 T. R.), 4 à chacun des caissons, 4 à chaque voiture à vivres (fourragère).

Aujourd'hui, les canons sont immobilisés pendant des semaines et des mois sur leurs positions. Les chevaux sont rassemblés aux « échelons », à quelques kilomètres en arrière du front. Tous, à tour de rôle, participent aux corvées quotidiennes : ravitaillement par caissons, transport de vivres, transport de matériel, etc. Souvent même ils sont mis à la disposition du génie pour véhiculer vers l'avant les matériaux nécessaires aux travaux les plus variés. Cependant, lorsque les batteries sont au repos, — ce n'est ni bien souvent ni pour bien longtemps, — les chevaux reprennent alors leur travail spécialisé, et chaque artilleur retrouve, avec une joie 'émue et touchante, son [fidèle compagnon.

Tenue.

Deux mots, en passant, de la tenue de campagne de l'artilleur belge. Jusqu'en 1915, il conserva son ancien uniforme auquel il tenait beaucoup. Il ne l'abandonna qu'en bougonnant. Il était d'ailleurs joli dans sa sobriété et il nous souvient que, quelque temps avant la guerre, il emporta le prix dans un concours international, à... Vienne! Cet uniforme était, il est vrai, plus pratique et plus militaire que la plupart de ceux de l'armée belge avant la guerre. Il ne manquait pas d'allure, avec sa courte tunique bleu de roi à passe-poil rouge, son pantalon aux mêmes couleurs, sa fourragère rouge, ses guêtres noires, son bonnet d'astrakan. A cheval, le grand manteau bleu avec sa large pèlerine donnait, pour l'ensemble, une impression d'aisance et de force. Comme l'artilleur belge, est, en général, soucieux de la correction de sa tenue, ce vêtement bien porté et soigneusement entretenu, avait une certaine élégance sobre et seyante.

Aujourd'hui, à grand regret, les artilleurs ont revêtu la monotone tenue kaki, plus nécessaire encore sur les vastes plaines nues des Flandres que partout ailleurs. Us se distinguent du fantassin en ce que leurs passepoils sont rouges, tandis que les siens sont bleu de roi, en ce que l'écusson de leur col est bleu de roi tandis que celui de l'infanterie est rouge. Pour tous, l'indication du numéro de régiment se trouve brodée sur les pattes d'épaule, sur le bonnet de police. Les artilleurs portent culotte et guêtre moulée. Celle-ci et la bottine sont 'en cuir fauve. Le manteau est un large manteau de cavalerie, de couleur kaki, mais sans la belle et bonne pèlerine de jadis. En plus de cette tenue de drap, l'artilleur possède un costume de toile de coton. Vêtement d'été que, pour soigner son uniforme de campagne, il endosse, par tous les temps, au travail.

L'officier a la même tenue, que ses hommes, taillée dans un drap spécial ; ses insignes sont d'or au lieu d'être de bronze ou argentés. Il porte en plus le ceinturon de cuir bruni avec baudrier. Le sous-officier porte la ceinture de cuir, simple.

(A suivre.)

Lieutenant E. van Erde.